En se basant essentiellement sur les statistiques démographiques détaillées publiées en juillet dernier par le PRB (Population Reference Bureau), organisme privé américain et une des références mondiales en matière de démographie, la population du monde francophone, qui avait atteint la barre des 500 millions d’habitants fin 2018, peut être estimée à 536,1 millions au 1er janvier 2022. Soit une hausse de près de 2,3 % sur un an (524,1 millions début 2021), et une population creusant l’écart avec celle de l’ensemble constitué par l’Union européenne et le Royaume-Uni (515 millions).
536 millions d’habitants début 2022
Cette estimation correspond à la population du monde francophone dans sa définition géographique la plus stricte et la plus sérieuse, qui ne tient compte que des pays et territoires réellement francophones, dans lesquels la population est en contact quotidien avec la langue française, et où l’on peut « vivre en français ». Un ensemble qui rassemble 33 pays répartis sur quatre continents, et dans lequel ne sont donc pas comptabilisés les parties non francophones de pays comme la Belgique, la Suisse ou le Canada, tout comme un certain nombre de pays membres à part entière de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mais ne remplissant pas les critères nécessaires afin de pouvoir être considérés comme francophones (tels que le Liban, la Roumanie ou encore la Guinée-Bissau). Et ce, en vertu du fait que le français n’y est pas, seul ou avec une langue locale partenaire, la langue de l’administration, de l’enseignement pour l’ensemble de la population scolaire (au moins à partir d’un certain âge), des affaires et des médias (ou au moins la langue maternelle de la population, sous sa forme standard ou sous une forme créolisée, un peu comme l’arabe dialectal par rapport à l’arabe standard dans les pays du Maghreb).
Dans ce vaste espace, qui s’étend sur près de 16,3 millions de km2, soit près de quatre fois l’Union européenne tout entière (et auxquels s’ajoutent de vastes zones économiques exclusives maritimes - ZEE, dont celle de la France, seconde plus grande au monde avec ses près de 10,2 millions de km2), les cinq premiers pays francophones sont aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC, 94,1 millions d’habitants), la France (68,2 millions, territoires ultramarins inclus, tous statuts confondus), l’Algérie (45,5), le Maroc (37,1) et Madagascar (28,8). Vient ensuite la Côte d’Ivoire, en sixième position (27,4 millions).
Avec une croissance démographique de 2,3 % en 2021, le monde francophone constitue l’espace linguistique le plus dynamique au monde, devant l’espace arabophone (1,9 %, et 461 millions d’habitants (1)), et avait dépassé en 2012 l’espace hispanophone dont la population est aujourd’hui estimée à 474 millions d’habitants (+ 1,0 %). Cette croissance devrait demeurer supérieure à celle des autres espaces linguistiques, et porter la population de l’ensemble francophone à un peu plus d’un milliard d’habitants en 2060. Le rythme de cette progression est toutefois sur une tendance baissière, principalement du fait de la baisse continue du taux de fécondité en Afrique subsaharienne francophone, qui s’établit désormais à 5,4 enfants par femme contre 7 enfants en 1975 (cette diminution progressive étant encore masquée par les conséquences démographiques de la hausse régulière de l’espérance de vie). Au passage, il convient toutefois de rappeler que l’espace francophone demeure assez largement sous-peuplé, même en tenant compte des territoires désertiques ou recouverts par de denses forêts équatoriales. À titre d’exemple, sa population actuelle est à peu près égale à celle de l’ensemble Union européenne - Royaume-Uni, qui est pourtant réparti sur une superficie près de quatre fois moins étendue. Autre exemple plus précis, la Côte d’Ivoire, pays le plus dynamique économiquement du continent africain, en tenant compte à la fois de ses taux de croissance économique et de son niveau de richesse, ne compte que 27,4 millions d’habitants pour un territoire un tiers plus vaste que celui du Royaume-Uni, dans ses frontières européennes (et non deux ou trois fois plus petit, comme l’indiquent la plupart des cartes géographiques en circulation, terriblement déformantes de la réalité… et des esprits). Ce dernier ayant une population de 67,6 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire devrait alors compter non moins de 89,5 millions d’habitants pour être aujourd’hui proportionnellement aussi peuplée.
Par ailleurs, il convient aussi de rappeler que le chiffre de 300 millions de francophones fréquemment avancé par l’OIF ne correspond qu’au nombre de personnes ayant au moins une assez bonne maîtrise de la langue française. Ce chiffre, obtenu, par exemple, en ne comptabilisant que le tiers de la population ivoirienne et le quart de celle du Sénégal, ne traduit donc aucune réalité géopolitique ou économique (la population totale d’un pays ou territoire francophone étant le seul critère à prendre en compte pour évaluer l’importance d’un marché). De même, il est également largement inapproprié d’un point de vue social, pour la simple raison que de nombreuses choses de la vie courante se font en français dans les pays et territoires francophones (médias, internet, administration publique, documents commerciaux et comptables…), où l’ensemble de la population est donc en contact quotidien avec la langue française, y compris dans les zones les plus reculées et dans lesquelles le pourcentage de personnes ayant au moins une assez bonne maîtrise de la langue est moins élevé.
Toute statistique ne tenant pas compte de l’ensemble de la population des pays et territoires francophones, et diffusée à un large public (au-delà, donc, d’un certain nombre de hauts fonctionnaires, notamment au sein de l’Éducation nationale en vue d’aider à l’élaboration des politiques d’enseignement et de scolarisation), n’a donc pour seule et unique conséquence que d’induire en erreur les acteurs et décideurs économiques et politiques, ainsi que l’ensemble de la société civile, en dévalorisant considérablement à leurs yeux le monde francophone et la langue française. Une erreur d’appréciation dont peuvent même être victimes les organismes les plus prestigieux, à l’instar de l’organisme publique France Invest, qui publia en 2019 un Guide sur le capital-investissement destiné à de grandes entreprises (Investir dans la croissance des entreprises en Afrique, octobre 2019) et dans lequel était rédigée la phrase suivante au sujet de l’Afrique francophone, Maghreb inclus : « l’Afrique francophone regroupe 260 millions d'habitants ». Plus grave encore, les données de l’OIF peuvent parfois être utilisées par certaines parties cherchant à dénigrer et attaquer la langue française dans leur pays, en faisant croire qu’elle ne concerne que 300 millions de personnes.
Toute diffusion médiatique des chiffres publiés par l’OIF, sans explication préalable et bien claire du critère utilisé, à savoir le niveau au moins assez bon en langue française, peut donc avoir de gravissimes conséquences économiques et géopolitiques, contraires aux intérêts de l’ensemble des pays et peuples francophones du monde. Il est donc satisfaisant de constater que certains organismes commencent à avoir une meilleure connaissance du monde francophone, à l’instar de la direction du MEDEF (principale organisation patronale française) qui prit officiellement ses distances avec les données de l’OIF lors de la première « Rencontre des entrepreneurs francophones » (REF), organisée en France en août 2021, en utilisant uniquement le chiffre relatif à la population totale de l’espace (soit celui de 512 millions, correspondant à la population début 2020).
Enfin, il convient de rappeler que la connaissance de la langue française dépasse largement les frontières du monde francophone et ses 536 millions d’habitants. En effet, le français est la deuxième langue la plus enseignée au monde, après l’anglais, et il est appris de manière obligatoire dans les établissements d’enseignement primaire et/ou secondaire d’un certain nombre de pays (comme, désormais, dans tous les pays anglophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest - du moins théoriquement, faute parfois de moyens, ou encore au Costa Rica), et par la majorité des élèves dans d’autres (notamment dans de nombreux pays européens, ou encore au Liban). Ce sont donc quelques centaines de millions de personnes supplémentaires, à travers le monde, qui ont au moins quelques notions en langue française (chiffre en constante hausse et que l’on peut aujourd’hui estimer à plus de 300 millions, toutes générations confondues).
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