sénégal : fort risque d’une application difficile du nouveau code de l’électricité


Rédigé le 12 Septembre 2022 à 05:00 | 0 commentaire(s) modifié le 14 Septembre 2022 19:28

Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations… En savoir plus sur cet auteur

(Equonet-Dakar) – Le ministère sénégalais du Pétrole et des Energies court le risque de voir le nouveau Code de l’électricité difficilement applicable pour une raison pourtant évitable.


Le nouveau Code de l’électricité du Sénégal fait grincer des dents. Non seulement ce texte de loi en vigueur depuis juillet 2021 est incomplet parce qu’il y a beaucoup de renvois (on parle d’une cinquantaine) à des décrets d’application, mais ceux-ci accusent un grand retard pour leur publication. Et le problème majeur, c’est que ces textes de loi sont élaborés sans l’implication du secteur privé qu’ils régissent.

Opérateur privé sénégalais, El Hadji Diop, directeur général de Tera technologie y voit un risque d’inapplication pour cette raison. « Le risque, c’est que l’Etat du Sénégal élabore et décrète des textes de loi sans l’implication des concernés et que de ce fait, nous nous retrouvons avec des lois qui seront difficilement applicables, qui vont créer des déceptions, et on ne pourra pas atteindre l’objectif recherché qui est de permettre à une franchise large de petites et moyennes entreprises/industries (Pme/Pmi) sénégalaises d’entrer dans ce secteur de production, de transport et de vente d’électricité », a-t-il averti.

« Je me rends compte que c’est un Code d’électricité élaboré ‘’en vase clos’’. Les agents du ministère du Pétrole et des Energies se regroupent entre eux pour élaborer un projet de loi », a-t-il affirmé tout en reconnaissant les avancées du Code.

« Il est vrai qu’il y a des innovations par rapport à l’ancien Code. Par exemple le monopole de la société nationale d’électricité du Sénégal (SENELEC) sur la distribution a été cassé. Désormais, il y a des possibilités de vendre à d’autres acheteurs ou clients, D’autre part aussi, on prévoit d’ouvrir le réseau de transport à des tiers. Ça aussi, c’est une innovation. Il y a des avancées quand même », a-t-il admis.

« Seulement, quand on regarde le Code, il y a beaucoup de renvois (plus de cinquante) à des décrets d’application. Ce qui veut dire donc que le texte n’est pas complet. Nous attendons donc la sortie de ces décrets d’application pour avoir enfin un cadre juridique bien complet et qui permettra de savoir par où on met les pieds. Je me dis que c’est dommage qu’on accuse autant de retard pour un texte de loi qui est entré en vigueur depuis juillet 2021. Ça fait déjà plus d’un an que nous sommes régis par un texte de loi incomplet. C’est dommage », a-t-il regretté.  

« C’est vrai qu’au niveau du ministère du Pétrole et des Energies, particulièrement au niveau de la direction de la réglementation, l’acceptance n’est pas encore là de voir d’autres acteurs être impliqués dans le processus, notamment surtout du privé. Je pense que c’est un peu compliqué d’autant plus que cette loi sera plus tard effectuée par les acteurs du secteur privé. Donc, il serait bien déjà en amont de les impliquer dans le processus d’élaboration du cadre réglementaire qui va régir cette activité-là », a-t-il ajouté.

M. Diop s’exprimait au cours d’un atelier d’information et de sensibilisation sur le nouveau Code de l’électricité. Organisé mercredi dernier par le Conseil patronal des énergies renouvelables du Sénégal (COPERES) en collaboration avec l’Agence nationale des énergies renouvelables (ANER), l’objectif de cet atelier était de voir comment est-ce que le secteur privé sénégalais pourrait être impliqué dans le processus d’élaboration des nouveaux décrets d’application.

Pour lui, il est dans l’intérêt de l’Etat d’avoir un secteur privé fort et surtout d’avoir une base critique de Pme/Pmi du secteur assez large. « Je crois que ça permettra de créer de la richesse, beaucoup plus d’emplois, d’autre part aussi de créer d’autres créneaux parce que quand le marché est ouvert, les gens auront vraiment le courage de prendre des risques de s’engager dans d’autres secteurs qui aujourd’hui sont encore fermés. La demande en énergie est très forte et pour un pays qui tend à se développer, c’est important qu’on ait une production assez variée d’énergie », a-t-il avancé.

Un dispositif à compléter, selon Me Thierno Dieng, avocat au barreau de Paris

Dans son exposé fait au cours de l’atelier, Me Thierno Dieng a confirmé les insuffisances du nouveau Code de l’électricité. A cet effet, il a cité les nombreux textes à venir. Ainsi, il a fait état des cinq décrets portant organisation et fonctionnement des structures dédiées à la mise en œuvre de la politique énergétique et les textes relatifs :
À la production indépendante d’électricité Au droit d’accès des tiers au réseau de transport À l’autoproduction & à l’autoconsommation À L’électrification rurale Aux offres d’initiative privée (offres spontanées) Au contenu local
Il a aussi confirmé les plus de cinquante renvois à des textes d’application. Parlant de l’application immédiate du nouveau de l’électricité, il a fait état de son application à tous les projets pour lesquels la procédure d’attribution n’a pas été lancée à la date de l’entrée en vigueur du nouveau Code (art. 82).

Des points à clarifier

En outre, El Hadji Diop a soulevé des points à clarifier, notamment les seuils de puissance, les installateurs à agréer par la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CRSE).
« On ne connaît pas le décret qui régit le régulateur. Bien qu’apparemment, le décret a été validé en conseil des ministres depuis juillet 2022, mais nous ne disposons même pas de ce décret. Ce sont là des craintes, des préoccupations que nous avons et qui doivent être prises en compte », a-t-il déploré.

« La CRSE a un rôle important à jouer dans la régulation. Il serait bien que leurs prérogatives soient connues de tous et qu’eux aussi soient accessibles aux clients, aux opérateurs privés et d’autre part qu’elle soit assez outillée pour pouvoir prendre des décisions idoines », a-t-il encore plaidé. 

« Pour nous, il est important que l’Etat sache que nous devons être des partenaires, des collaborateurs et qu’on ne nous regarde pas comme des acteurs qui veulent empêcher l’administration centrale de jouer son rôle de régulateur », a-t-il plaidé.

« D’après la loi, c’est le ministère de tutelle qui doit déterminer ce seuil de puissance. Si le ministère le fait sans consulter les acteurs concernés, il serait un peu difficile de répondre aux attentes de ces gens-là. Il faut éviter de mettre les acteurs devant un fait accompli. Ça va compliquer le marché de l’électricité, particulièrement des énergies renouvelables », a-t-il encore averti.

Interpellé sur le contenu local, notre interlocuteur a invité la tutelle à la prudence. « Il faudra faire attention à ce que nous ayons des critères de défense qui soit mesurables et contrôlables à l’avantage des opérateurs sénégalais. Le problème c’est que si nous nous basons par exemple sur les lois de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADHA) qui disent qu’une entreprise nationale est une entreprise déclarée dans le pays, là n’importe quelle structure étrangère peut venir créer sa société à responsabilité limitée (SARL) ou société anonyme (S.A) et tout de suite elle serait une entreprise nationale. Si on dit il faut que le management soit sénégalais ou bien il faut qu’un certain pourcentage du capital soit sénégalais, çà aussi ce sont des choses qui peuvent être contournées », a-t-il prévenu.

« Il serait bien ici de dire que c’est une entreprise dont le capital est détenu à plus de 51 pour cent par des nationaux sénégalais. Même là aussi si on le fait, qu’il y ait un blocage sur une période (3 à 5 ans) durant laquelle il serait impossible de faire une recapitalisation. Il serait bien aussi qu’on veille à ces aspects financiers, économiques et qu’ils soient pris en compte. Raison pour laquelle il serait bien que le ministère en charge de l’Economie soit impliqué pour qu’il puisse donner un avis sur la sécurisation du capital », a-t-il indiqué.

Sur ce chapitre, Me Thierno Dieng fera savoir qu’une part de l’actionnariat est réservée aux investisseurs sénégalais et que les modalités seront définies par décret.
Sur tous ces points, les agents et autres techniciens du ministère du Pétrole et des Energies ont apporté des assurances, des clarifications et en répondu à certaines questions et préoccupations.

Mieux, les organisateurs de l’atelier d’information et de sensibilisation sur le nouveau Code de l’électricité se sont engagés à élaborer un rapport qui va intégrer toutes les observations faites au cours de ces échanges pour que la tutelle puisse les prendre en charge dans le Code et ses décrets d’application.
 


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