blanchiment de capitaux, déficit budgétaire, dettes : les finances publiques sénégalaises en détresse


Rédigé le 8 Octobre 2024 à 17:35 | 0 commentaire(s) modifié le 11 Octobre 2024 13:37

Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations… En savoir plus sur cet auteur

(Equonet Energies-Dakar) – Placé sous surveillance accrue par le GAFI et aussi surveillé de près par Moody’s, le Sénégal se trouve dans une situation délicate.


Alors qu’il est tout près de la porte de sortie de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) où il est placé sous surveillance accrue depuis 2021 pour défaillances stratégiques de son régime de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (LBC/FT), le Sénégal vient de subir un autre coup dur : la revue à la baisse de sa notation financière par l’agence Moody’s, passant ainsi de Ba3 à perspective stable à B1 avec une mise sous surveillance.
 
Une baisse que l’agence de notation attribue à la révision à la hausse du déficit budgétaire et du niveau d’endettement observés sur la période 2019-2023, suite à l’audit des finances publiques commandé par les plus hautes autorités et préparé sous la direction du ministre des Finances et du Budget (MFB), dont les résultats préliminaires ont été communiqués par le gouvernement le 26 septembre 2024.  
 
L’agence confirme ainsi les propos du chef de mission du FMI Edward Gemayel, qui après avoir effectué avec son équipe une visite au Sénégal du 5 au 12 septembre 2024, a déclaré que : « En l'absence de mesures budgétaires supplémentaires, le déficit devrait dépasser 7,5 % du PIB, bien au-delà des 3,9 % prévus dans le budget initial, en raison de la baisse des recettes et de l'augmentation des dépenses en subventions énergétiques et en paiements d'intérêts. Par conséquent, la dette de l’administration centrale devrait rester supérieure au critère de convergence de l'UEMOA fixé à 70 %. »
 
« En l'absence de mesures supplémentaires, atteindre l'objectif de déficit de l'UEMOA à 3 % du PIB en 2025 prendrait plus de temps que prévu initialement », a-t-il ajouté.
 
Pour leur part, les autorités sénégalaises ont informé l’équipe du FMI que l’audit général sur les finances publiques est en cours de finalisation et que les constats et recommandations qu’il contient devraient permettre de mettre en œuvre des actions de reformes vigoureuses pour remettre les finances publiques sur une nouvelle trajectoire de réduction du déficit et de l’endettement public.
 
Au cours du conseil des ministres du 02 octobre 2024, le chef de l’Etat est revenu sur la situation des finances publiques. Ce fut pour souligner les constats d’écarts remarquables sur les statistiques des finances publiques et de leurs conséquences directes sur la gouvernance publique et les engagements présents et futurs de l’Etat.
 
Aussi, a-t-il invité le premier ministre à prendre, sans délai, les mesures impératives de redressement pour accélérer le retour rapide à l’orthodoxie budgétaire, financière et comptable conformément à la Constitution et aux textes législatifs et réglementaires en la matière.   
 
Le complétant, le premier ministre s’est appesanti sur la priorité que représente, pour le gouvernement, le rétablissement, dans des délais raisonnables, d’une saine gestion des finances publiques, au regard de l’étendue des dérives ressorties de l’état des lieux de la gestion du régime sortant.
 
A cet égard, il a demandé au ministre des Finances et du Budget et au ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, de prendre les dispositions appropriées à cet effet, en relation notamment avec le Fonds monétaire international (FMI).   
 

Quelques données sur la dette

Selon les services compétents du ministère des Finances et du Budget, l’encours de la dette publique de l’administration centrale budgétaire est évalué provisoirement à 13 772,8 milliards FCFA en 2023 contre 11 782,8 milliards FCFA un an auparavant, soit une hausse de 16,9% par rapport à fin 2022.
 
Le ratio de l’encours de la dette rapporté au PIB est ressorti à 73,7% en 2023 contre 68,2% en 2022.
 
L’encours est constitué par la dette extérieure et intérieure avec des montants respectifs de 10 502,6 milliards FCFA (56,2% du PIB) et 3 270,2 milliards FCFA (23,7% du PIB) en 2023 ; ces deux composantes se sont confortées en glissement annuel avec des hausses respectives de 13,1% et 31,1% comparativement à 2022.
 
Par ailleurs, le service de la dette publique extérieure a été réalisé à hauteur de 1 144,5 milliards FCFA en 2023 ; il est réparti en principal et intérêts pour des montants respectifs de 727,7 milliards FCFA et 416,8 milliards FCFA. Le paiement du service de la dette extérieure a représenté 29,3% des recettes budgétaires et 26,8% des exportations de biens et services, contre des plafonds respectifs de 22% et 25% retenus dans le cadre de l’analyse de viabilité de la dette.
 
Pour sortir de cette situation délicate, des réformes rigoureuses s’avèrent nécessaires à l’image de ce qui a été fait pour sortir de la ‘’liste grise’’ du GAFI.  
 

Des progrès remarquables réalisés dans la lutte contre le blanchiment d’argent

En effet, le Sénégal a fait des efforts et des progrès énormes qui lui ont permis de corriger toutes ses défaillances stratégiques.
 
Ces défaillances concernaient notamment la non détection des infractions liées au BC/FT et le manque de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives à l’encontre des entreprises et professions non financières désignées (EPNFD) qui ne se conforment pas ; l’absence de mis à jour et de conservation des informations complètes sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques et la faiblesse du système de sanctions en cas de violation des obligations de transparence. 
 
Le manque de capacités et de soutien aux autorités chargées des poursuites engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme, ainsi que de suivi et de supervision des Organisations à but non lucratif (OBNL) fondés sur les risques sont aussi considérés comme des défaillances stratégiques par le GAFI.
 
Il a ainsi franchi toutes les étapes et la décision de sa sortie de la liste grise est attendue à la prochaine réunion du GAFI prévue ce mois d’octobre 2024.
 
A cet effet, il a reçu les encouragements du FMI qui se félicite des progrès réalisés dans la mise en œuvre de l'ensemble des mesures recommandées par le GAFI pour faciliter la sortie du pays de la "liste grise".
 
Ces efforts devraient renforcer le climat des affaires et améliorer la confiance économique globale.
 
Et c’est là où les autorités sont attendues pour faire autant ou plus voire mieux en vue de réduire le déficit budgétaire et de contenir la dette à des niveaux plus acceptables.


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