Côte d'Ivoire - Numérique : de bien trompeuses apparences !


Rédigé le 16 Juin 2016 à 12:19 commentaire(s) modifié le 20 Juin 2016 17:55


Ecofinance.sn ( Dakar) - Une récente étude du cabinet Deloitte révèle bien des insuffisances sur le chemin de l'appropriation du digital. Les explications de Habib Bamba.


Dans les discours, toutes les entreprises ivoiriennes sont à l'heure du digital. Elles sont « présentes sur les réseaux, possèdent un site internet »... mais, dans les faits, la réalité diffère quelque peu ! Seulement 36 % d'entre elles estiment avoir atteint la maturité numérique, selon l'étude publiée fin mai par le cabinet Deloitte, sur un échantillon de 60 sociétés en Côte d'Ivoire.

La transformation digitale s'entend par une transformation de l'entreprise et de ses métiers. Mais, surtout, le digital change la donne en matière commerciale en faisant du consommateur le centre de toutes les attentions dans le domaine du marketing et de la vente. En interne avec les collaborateurs, l'expérience collaborative devient presque obligatoire. La Côte d'Ivoire est en pleine croissance économique entre 7 et 8 % par an et le numérique est devenu un enjeu majeur pour créer de la richesse.

Le potentiel du numérique est dans tous les esprits, aussi bien du côté du gouvernement que des dirigeants d'entreprise. Reste que, concrètement, l'investissement ne suit pas. 58 % des répondants à l'étude accordent entre 1 et 10 % de leur budget global à l'informatique et 8 % y consacrent moins de 1 % de leur budget global. Pour Habib Bamba, directeur-conseil chez Deloitte à Abidjan, dans ce contexte, il faut braquer le projecteur sur les stratégies digitales à mettre en place en analysant la situation secteur par secteur. Entretien.
 

 Quels freins à la mise en place d'une stratégie digitale au sein des entreprises ?
 

Habib Bamba : Le premier frein à la mise en place d'une stratégie digitale au sein des entreprises ivoiriennes reste lié à la faible culture digitale au sein des entreprises. S'il est vrai que l'on observe une prise de conscience des dirigeants des bienfaits du numérique, celle-ci est beaucoup moins vérifiable en termes d'investissements sur le secteur.

De plus, les priorités restent opérationnelles et liées à la nécessité de maintenir une fonction informatique. Les investissements liés à des outils numériques tels que les outils de gestion de la relation client (CRM) et d'analyse de données (Big Data ou Analytics) restent encore marginaux.

Il reste essentiel de sensibiliser les dirigeants à la nécessité de mettre le numérique au cœur de leur stratégie d'entreprise.
 

Le projet « Backbone » va-t-il permettre au pays de relever les défis du numérique ?
 

L'un des leviers importants pour la réduction de la fracture numérique est le développement de l'infrastructure numérique, et de ce fait le projet « Backbone » va jouer un rôle crucial puisqu'il va permettre l'accès au très haut débit sur tout le territoire national d'ici 2018 à travers le déploiement d'un réseau de 7 000 kilomètres de fibre optique.

La connectivité reste encore l'un des freins majeurs relatifs à la maturité numérique ivoirienne, comme l'indique l'indice NRI du Forum économique mondial qui classe la Côte d'Ivoire au 115e rang avec, parmi les zones d'amélioration marquante, le faible taux d'accès Internet, notamment fixe. Ce projet sera donc un catalyseur important pour la réduction de la fracture numérique. Toutefois, d'autres défis subsistent, et notamment ceux liés aux contenus, aux compétences ou encore au climat des affaires.

 

 

Habib Bamba : "S’il est vrai que l’on observe une prise de conscience des dirigeants des bienfaits du numérique, celle-ci est beaucoup moins vérifiable en termes d’investissements sur le secteur". © DR

 

 

Quels leviers pour développer leur maturité numérique ?

La transformation digitale des entreprises ivoiriennes devra s'orienter autour de trois axes : économique, notamment en adaptant l'offre et les modèles économiques, opérationnels, à travers les processus et humain, de par le développement des compétences. Il sera ainsi nécessaire d'appréhender et de tirer profit des différents outils numériques tels que le Web, le mobile, le social ou les data en les priorisant et en accordant une place centrale à la culture digitale. Cette transformation ne pourra se faire sans une transformation organisationnelle favorisant plus de flexibilité. Le focus doit également être porté sur le client, ses besoins et ses usages, et moins sur la « technologie » au sens strict.

Quelles sont les ambitions des entreprises ivoiriennes en matière de transformation numérique ?

Notre étude sur la maturité numérique des entreprises ivoiriennes révèle que les ambitions des entreprises en matière de transformation numérique varient fortement en fonction des secteurs d'activité. Ainsi, les entreprises des secteurs des télécommunications, des médias, de l'informatique et de la distribution nourrissent une réelle volonté de transformation par le numérique.

Cela se manifeste par les investissements effectués qui peuvent représenter, dans certains cas, jusqu'à la moitié du chiffre d'affaires. Les entreprises de ces secteurs affichent déjà un niveau de maturité plus important et mettent de plus en plus le numérique au cœur de leur stratégie, notamment commerciale.

Toutefois, pour d'autres secteurs comme l'industrie ou la construction, les ambitions restent beaucoup plus modestes. Certains acteurs de ces secteurs affirment même ne pas concevoir la nécessité d'une transformation numérique de par leur activité.

Il est donc crucial, notamment via les actions du patronat, de sensibiliser les acteurs de ces secteurs à l'uberisation, et donc le risque, si elles ne se transforment pas via le numérique, de voir de nouveaux acteurs s'implanter sur le marché avec de nouvelles offres et modèles d'affaires qui bouleverseront leur écosystème et qui pourront aller jusqu'à menacer l'existence d'entreprises « traditionnelles ».
 

Quid des emplois créés dans le numérique tant dans le formel que dans l'informel ?

La grande majorité des entreprises ivoiriennes disposent en interne d'une fonction informatique. Toutefois, bien souvent les fonctions informatiques traditionnelles de type responsable informatique, les nouveaux métiers du numérique tels que Community Manager ou responsable Social Media, sont encore très peu représentées, de même que les fonctions spécialisées dans la sécurité du système d'information.

Au-delà de ce constat, on note encore un décalage entre les besoins en talents dans le numérique et l'offre disponible. Pour répondre aux ambitions nationales en matière de numérique, il sera donc nécessaire de former beaucoup plus d'experts dans les différents métiers du numérique.

Ibrahima Guindo


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